Alain Moreau (MeDirect) : "Les carnets d’épargne ne sont pas le seul problème des banques"
Si les banques belges ont augmenté leurs taux d’épargne ces derniers mois, cela ne signifie pas que la concurrence s’est intensifiée dans le secteur, estime Alain Moreau, CEO de MeDirect.
Les banques ont-elles compris la leçon, elles qui ont vu des milliards disparaître de leurs carnets d’épargne au profit du bon d’État ? Tout semble l’indiquer, puisque ces derniers mois, la plupart des banques belges ont relevé les taux de leurs produits d’épargne.
Alain Moreau, CEO de MeDirect, n’est pas impressionné pour autant. Lorsqu’il est arrivé à la tête de la banque en ligne belge l’été dernier, ce banquier de 55 ans s’est d’emblée fait remarquer en déclarant que les banques belges s’étaient endormies, au détriment de la concurrence dans le secteur.
Quatre mois et un bon d’État plus tard, Moreau ne voit guère de raisons de revenir sur sa déclaration. “C’est un début, mais nous sommes encore loin du compte. Le bon d’État a suscité un débat public sur la manière dont les banques répercutent la hausse des taux d’intérêt de la BCE sur leurs épargnants. À cet égard, la marge est encore grande : les analystes de la banque suisse UBS ont calculé récemment que les banques européennes ont vu leurs revenus d’intérêts augmenter de 100 milliards d’euros l’an dernier.”
Mais les carnets d’épargne ne sont pas le seul problème des banques, estime Moreau, qui feuillette sa documentation pour étayer son point de vue. “Selon une étude récente du SPF Économie, les frais facturés par les banques ont augmenté en moyenne plus vite que l’inflation au cours des cinq dernières années. Une étude antérieure de la FSMA, l’organe de surveillance des marchés boursiers, indique quant à elle que les investisseurs verront 40 % de leurs plus-values s’évaporer dans 10 ans s’ils investissent dans un fonds dont les frais sont dans la moyenne. Les banques ne sensibilisent pas assez leurs clients à l’impact des frais d’entrée ou de transaction sur le rendement des différents investissements. Prenons les ETF ou trackers : ce sont des produits intéressants pour de nombreux investisseurs. Or, les banques sont peu enclines à les promouvoir parce qu’ils ne leur permettent pas de facturer de frais d’entrée et de gestion.”
Moreau poursuit sur sa lancée : “Est-il normal qu’il n’y ait quasi aucune transparence sur les rendements des comptes à terme ? Il n’y a aucun équilibre entre les intérêts des banques et ceux de leurs clients. Nous avons encore un long chemin à parcourir.”

Alain Moreau se félicite d’un nouveau chèque gouvernemental.
Nous nous sommes profilés comme le principal challenger des banques traditionnelles.
Alain Moreau - CEO MeDirect Belgique
Les autorités belges de la concurrence ont formulé récemment des recommandations visant à stimuler la concurrence dans le secteur : permettre aux clients de changer de banque tout en conservant leur numéro de compte et supprimer la différence entre le taux de base et la prime de fidélité sur les comptes d’épargne.
Si la portabilité d’un numéro de compte, telle qu’elle existe pour les numéros de téléphone, n’est peut-être pas facile à mettre en œuvre, elle permettrait toutefois de stimuler la concurrence. Actuellement, les gens hésitent sans doute à changer de banque, redoutant de devoir ouvrir un nouveau compte dont le numéro est inconnu de leurs proches ou clients. La suppression des ventes couplées – vous obtenez une réduction sur votre crédit logement si vous achetez par ailleurs d’autres produits bancaires, par exemple – permettrait elle aussi d’accroître la mobilité des clients. En revanche, la suppression de la prime de fidélité ne me semble pas une bonne idée.
Cette prime permet aux banques de conserver l’épargne à plus long terme, ce qui leur assure un mode de financement plus stable, notamment pour l’octroi de crédits logements. De plus, elle permet généralement aux banques de verser à leurs clients des intérêts un peu plus élevés, car les taux d’intérêt à long terme sont normalement supérieurs. De fait, la combinaison du taux de base et de la prime de fidélité est typiquement belge. Mais notre marché hypothécaire est particulier lui aussi : les Belges optent généralement pour des crédits logements à taux fixe, alors qu’à l’étranger, ces crédits s’accompagnent souvent d’un taux variable.
En raison du succès du bon d’État, les banques belges n’ont jamais vu autant d’argent disparaître de leurs carnets d’épargne qu’en 2023. Or, MeDirect a enregistré une augmentation de 50 % des dépôts sur ses comptes d’épargne. Comment faites-vous ?
Je ne peux pas encore donner de chiffres concrets, mais nous sommes rentables et avons connu la meilleure année de notre histoire. Le fait que nous ayons augmenté nos taux n’a pas affecté notre rentabilité. De plus, notre croissance ne se limite pas au marché de l’épargne. Nous avons également enregistré une croissance vigoureuse dans les crédits logements, que nous proposons en partenariat avec l’assureur Allianz. Les services d’investissement demeurent également une activité essentielle. Avant la fin du mois, nous lancerons aussi pour la première fois, en collaboration avec Mastercard, une carte de débit, élargissant ainsi notre offre de services bancaires quotidiens.
Le ministre des Finances Vincent Van Peteghem (CD&V) a déjà annoncé le lancement d’un nouveau bon d’État à un an, dont le régime fiscal pourrait de nouveau séduire les épargnants. Qu’en pensez-vous ?
L’été dernier, pour des raisons pratiques, nos clients ne pouvaient souscrire au bon d’État que via l’Agence de la Dette. Mais si un deuxième bon est effectivement lancé, nous ne manquerons pas de l’inclure dans notre offre. Il sera le bienvenu. Qu’il s’agisse d’un relèvement du taux d’épargne chez un concurrent ou du lancement d’un bon d’État, tout ce qui attire l’attention sur les rendements de nos produits d’épargne nous est favorable.
Les phrases clés
- “Les banques ne sensibilisent pas assez leurs clients à l’impact des frais d’entrée ou de transaction sur le rendement des différents investissements.”
- “Notre marché hypothécaire est particulier : les Belges optent généralement pour des crédits logements à taux fixe, alors qu’à l’étranger, ces crédits s’accompagnent souvent d’un taux variable.”
- “Notre croissance ne se limite pas au marché de l’épargne.”
- “Un nouveau bon d’État ? Tout ce qui attire l’attention sur les rendements de nos produits d’épargne nous est favorable.”